Partir, c’est mourir un peu (Par Tibou Kamara)
Après trois décennies de règne sans partage, Robert Mugabe ne montrait aucun signe de lassitude ni le moindre empressement à abandonner son fauteuil pour une retraite bien méritée, afin de pouvoir enfin jouir du repos du guerrier. À un journaliste qui avait fait preuve d’audace professionnelle en lui demandant à quel moment il dirait au revoir à son peuple, il rétorqua avec un air de désinvolture et une pointe d’ironie : “Au revoir ? Mais où vont-ils ?“
Quitter le pouvoir suscite toujours un pincement au cœur et la crainte de la vulnérabilité, surtout lorsqu’on l’a conquis au prix d’énormes sacrifices et exercé durant de longues années. Ceux qui acceptent de céder leur place n’ont généralement pas le choix. Ils se heurtent à des limites constitutionnelles qu’ils ne peuvent franchir ni violer, contraints de respecter des exigences démocratiques séculaires, gravées dans les consciences et les mentalités. En somme, on ne leur laisse guère d’alternative. La décision ne relève ni de leur bonne volonté, ni de leur seul arbitrage. Tout est réglé à l’avance, sanctuarisé par les institutions. L’alternance n’est pas une option, mais un contrat politique et moral, un verrou institutionnel.
L’ancien président américain Barack Obama affirmait que des institutions fortes valent mieux que des hommes providentiels, plaidant ainsi pour la primauté des instances collectives sur les individus isolés. Un idéal qui peine à s’imposer dans des États où les destins solitaires priment encore sur le sort commun. Les Africains, en particulier, peinent à s’accorder sur la manière de prendre et de transmettre le pouvoir. Après la première vague de coups d’État qui a suivi les indépendances, puis une embellie démocratique perçue comme un progrès avant de se révéler une illusion, tout semble à nouveau se jouer dans un rapport de force où, comme souvent, malheur aux faibles et gloire aux forts.
Tiraillés entre leur aspiration à une démocratie en bonne et due forme et le risque de se retrouver dans un « processus révolutionnaire » qui ne favorise pas un jeu politique ouvert et une compétition électorale loyale, les Guinéens retiennent leur souffle. Chacun est ballotté entre l’optimisme de l’engagement, la sérénité de la foi et le pessimisme d’une victoire impossible, d’une défaite annoncée et d’une impasse de longues années.
Le temps édifiera !