Guinée : comprendre la fabrication médiatique des conflits cultuels
L’église Mission évangélique pour la démonstration de l’esprit et de la puissance (MEDEP) située à Somaya Mosquée dans la préfecture de Coyah a été victime d’une attaque, le dimanche 28 mai 2023. L’agression a déchaîné des passions et des interprétations tendancieuses dans les médias. Le sujet a également suscité une salve de réactions des internautes ayant contribué à envenimer la situation sur les réseaux sociaux, ce qui démontre le caractère participatif de ce phénomène. Or, dans les faits, le pasteur Marcel Kourouma précise que le conflit n’est pas entre musulmans et chrétiens. Il s’agit plutôt d’un problème d’héritage entre deux épouses dont le mari est décédé, le 29 mai 2020. Décryptage des extrapolations faites autour de ce conflit domanial. Cas d’étude qui incarne ce type de dérapages pour besoin d’audimat.
La Guinée est un pays laïc de 14,2 millions d’habitants en 2023. La population est composée d’environ 85% de musulmans qui sont majoritaires dans les 4 régions naturelles du pays, 8% de chrétiens concentrés dans les grandes villes, dont Conakry et au sud, et 7% d’animistes plus répandus dans la région forestière.
Depuis le 5 septembre 2021, le pays traverse une transition militaire. La Charte de cette transition consacre la laïcité parmi les droits fondamentaux. Le Code pénal en son article 693 “punit d’un emprisonnement de 1 à 3 mois et d’une amende de 500 à 1.000.000 GNF ou de l’une de ces deux peines seulement tout particulier qui, par des voies de fait ou des menaces, contraint ou empêche une ou plusieurs d’exercer l’un des cultes autorisés, d’assister à l’exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes et d’observer certains jours de repos”. Et l’article 694 dispose: “sont punis d’un emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une amende de 500 à 1.000.000 GNF ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui empêchent, retardent ou interrompent les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le lieu destiné ou servant au moment des faits à l’exercice du culte”.
Dans son histoire, la Guinée n’a pas connu de conflits inter religieux généralisés. Les quelques conflits enregistrés sont circonscrits en Guinée forestière, au sud du pays, où l’église protestante évangélique de Dorota, en marge du double scrutin du 22 mars 2020, avait été attaquée. Cet acte est l’autre conséquence des affrontements entre partisans du pouvoir et de l’opposition, qui ont secoué la capitale de la Guinée forestière, Nzérékoré, au cours de cette journée électorale. Des jeunes, membres de l’un des groupes rivaux, sont allés mettre le feu sur la plus grande Eglise Protestante Evangélique de la ville. Ce lieu de culte avait également été incendié lors des affrontements ethniques à relent confessionnel de 2013.
En septembre 2022, un conflit domanial de longue date a resurgi opposant les populations de Kendoumaya, localité située à Coyah, à l’église catholique Saint-Jean. Les populations réclamaient le domaine de 26 hectares sur lequel sont bâtis le monastère et le grand séminaire Benoît 16. L’église, quant à elle, avait démenti l’information selon laquelle le domaine lui a été offert par les citoyens. Elle avait indiqué, documents à l’appui, que c’est plutôt une cession à lui faite par l’Etat guinéen.
Agression de l’église MEDEP
Le dimanche 28 mai 2023, l’église Mission évangélique pour la démonstration de l’esprit et de la puissance (MEDEP) située à Somaya Mosquée dans la préfecture de Coyah a été attaquée par un groupe de personnes. Les assaillants ont surpris les fidèles chrétiens en pleine messe. Le pasteur Marcel Kourouma explique que les agresseurs ont aspergé les fidèles de l’eau mélangée à de l’huile rouge et de piment. Sur la vidéo de l’agression, on y voit également une femme détruire une fenêtre. Selon plusieurs témoignages, les fidèles ont continué leur prière sans répliquer.
La vidéo a été tournée et diffusée sur Facebook par le pasteur. N’étant pas très explicite sur les motifs de l’agression de l’église, sa publication a entretenu la polémique.
Au lendemain de cet incident, un autre pasteur d’une autre église a fait un direct sur Facebook expliquant ce qui s’est passé.
Genèse du conflit…
A l’origine du problème, un conflit entre Marie Madeleine H. et Elisabeth G, deux coépouses de même confession religieuse qui se disputent l’héritage de leur défunt mari, décédé le 29 mai 2020. La première épouse Marie Madeleine, estimant être lésée dans la répartition, dit avoir tenté en vain le règlement à l’amiable de cette affaire. N’ayant pas obtenu gain de cause, justifie-t-elle, c’est ainsi qu’elle s’est résolue, avec le soutien de quelques membres de sa famille, à attaquer l’église le dimanche 28 mai 2023. C’est la source du conflit. Elle reconnait avoir aspergé, l’équivalent de 4 seaux d’eau mélangée à de l’huile rouge, sur les fidèles. Elle revendique la propriété du bâtiment abritant le lieu du culte.
Que disent les protagonistes?
Elisabeth G. soutient que Marie Madeleine avait divorcé d’avec leur époux bien avant la mort de celui-ci. Pour elle, la première épouse, n’ayant pas eu d’enfants, n’a pas droit de revendiquer le bâtiment qui abrite temporairement l’église.
Un traitement médiatique tendancieux
Dans son émission ‘‘Les Grandes Gueules’’ du 29 mai 2023, Espace FM a débattu du sujet sous l’angle de conflit inter-religieux. Le journaliste qui a évoqué le sujet dans le studio a commencé par souligner avoir vu une vidéo sur les réseaux sociaux dont il n’a pas cherché à vérifier la probité. Dans le débat, ils ont affirmé qu’il s’agit d’un problème ‘‘confessionnel’’ allant jusqu’à inviter leurs confrères de confession musulmane à sortir du silence pour ‘‘condamner l’agression’’. Cette injonction peut susciter un sentiment d’injustice qui est justifié du fait de la généralité faite.
Les internautes entrent en piste…
Sur les réseaux sociaux, le sujet a été également commenté. Certains internautes ont chauffé sur la fibre confessionnelle pour inciter leurs coreligionnaires à se mobiliser. « La Guinée, mon pays, le pays de mes ancêtres, va mal. Chaque fois, nous sommes victimes de cette barbarie au vu de tout et rien de la part de nos autorités compétentes (…)», s’indigne Odilon H. sous la publication Facebook du pasteur de l’église MEDEP.
Sous un autre post Facebook, Juste C. identifie le pasteur Marcel Kourouma dans un commentaire: «Quand on ne peut spirituellement, ça se fait physiquement. Donc, ils se sont dévoilés en faisant ça. Coyah, c’est chez les Soussous (autochtones de la Basse Guinée, musulmans pour la plupart, Ndlr). Donc, prends plus de précaution spirituelle. Ils ne vont pas s’arrêter».
«Avec ça, elle dira quelle est une bonne religieuse musulmane », accuse Adama L. faisant allusion à la vidéo de la femme qui est en train de détruire la fenêtre de l’église.
L’éclairage du Pasteur…
Pour connaître le fond de cette affaire, nous nous sommes rendus sur le terrain, à Coyah, le dimanche 4 juin 2023. Arrivée à l’église, le premier constat est frappant. Pas des portes et des fenêtres qui, selon les fidèles, ont été arrachées par les agresseurs. « Le Secrétariat général aux Affaires religieuses, ne serait-ce que l’antenne locale de Coyah, n’est pas encore venu. Même l’association chrétienne en Guinée appelée AEMEG ne s’est pas déplacée pour voir si ce qu’on a publié est réel ou juste une fabrication. Vous êtes la première personne à vouloir venir constater», souligne le pasteur Marcel Kourouma, déplorant les interprétations tendancieuses sur l’agression.
«Il faut qu’on soit sincère, ce n’est pas une autre religion qui est venue nous agresser. D’autant plus qu’en Guinée, il est reconnu que les Forestiers sont en majorité des chrétiens. Ceux qui sont venus nous agresser ne sont pas des musulmans. Je ne voudrais pas que les gens continuent de penser que c’est une autre religion qui est venue nous agresser. D’ailleurs, pendant que la femme était en train de casser la fenêtre, ce sont les jeunes du quartier, des musulmans, nos voisins, qui sont venus dire à celle-ci d’arrêter de détruire. L’autre femme qui était en train d’asperger les fidèles, c’est une voisine musulmane qui est aussi venue la tirer en lui disant qu’on ne le fait pas. Je ne voudrais pas que les gens fassent de l’amalgame », précise le pasteur.
Conclusion
Cette analyse nous permet de distinguer trois niveaux de responsabilité.
Le premier, la modération des débats d’opinions en studio radio ou sur le plateau TV; le deuxième les responsables religieux qui gagneraient à fonder leurs argumentaires sur les faits avérés et enfin tout internaute qui par sentiment d’appartenance réagit à la polémique fabriquée.
Les sujets portant sur la religion méritent un traitement médiatique rigoureux, tout comme les autres sujets d’ailleurs. Cela éviterait des interprétations tendancieuses comme c’est le cas de l’agression de l’église MEDEP. Des médias ont précipitamment conclu au conflit confessionnel sans, au préalable, avoir vérifié l’information. La non-connaissance des faits a induit à une interprétation erronée du conflit domanial entre Marie Madeleine H. et Elisabeth G., deux coépouses qui se disputent d’un héritage. Un sujet qui n’a rien de confessionnel, les protagonistes étant tous de la même confession chrétienne. Les faits susmentionnés ont prouvé que la quête de notoriété ou la non maîtrise du sujet fausse souvent l’analyse des journalistes et commentateurs d’opinions. La vérification des faits est la seule garantie du journaliste d’avoir la bonne information pour pouvoir commenter l’actualité sociopolitique.
Enfin, quand on fabrique une polémique à partir de désinformation, on risque de voiler un autre sujet majeur. A partir des faits réels que nous avons établis, le débat aurait dû porter sur les droits des femmes à hériter et les moyens pour rendre ces droits effectifs.
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