Depuis plusieurs mois des agréments de certains médias guinéens ont été retirés. Dans une interview accordée à BBC Afrique, le premier ministre Bah Oury a évoqué le sujet. Selon lui, “le climat de confiance a été rompu” entre les patrons de presse et les autorités. Lisez l’extrait de son interview.
BBC : Vous voulez dire que entre temps, certains médias s’étaient mis à critiquer encore les actions du pouvoir?
ABO : Non, ce n’est pas la critique qui est condamnable. Nous voulons une presse libre, une presse objective, une presse qui permette un réel débat. Mais nous ne pouvons pas tolérer des médias qui peuvent contribuer à accentuer un climat de haine et de forme de déstabilisation du pays. Nous sommes dans un contexte de transition. Nous sommes également dans un contexte régional fragilisé. En interne, nous avons à faire face à beaucoup de situations où nous devons veiller à la stabilité du pays.
Des médias ont contribué au génocide au Rwanda, cela fait trente ans maintenant. La guerre civile en Côte d’Ivoire a été alimentée fortement par des médias ultra partisans. Nous ne pouvons pas nous permettre, en République de Guinée, de fermer les yeux sur tout aspect susceptible de contribuer à la déstabilisation de notre pays. Donc ceci dit, la Guinée, les autorités guinéennes veulent d’une presse innovante, d’une presse qui assume les principes déontologiques du métier de journaliste. Et ça, c’est une orientation qui ne fait aucun doute. Nous sommes en train d’investir au niveau de la TNT pour accroître les capacités de l’audiovisuel et pour permettre la connectivité d’un plus grand nombre de nos compatriotes.
Aujourd’hui, des radios sont en train d’investir pour être audible sur l’ensemble du territoire national. Donc on ne peut pas dire que le gouvernement guinéen, pour telle mesure ou telle mesure, est en train de s’attaquer au niveau de la liberté de la presse. Les gens confondent beaucoup de choses. La démocratie est le type de régime le plus fragile et la démocratie, pour qu’elle puisse prospérer, mérite d’être protégé, surtout dans l’environnement du monde dans lequel nous sommes aujourd’hui.
Nous étions dans une dynamique d’apaisement. Certains ont préféré une dynamique d’affrontement. Et le 21 mai, la décision est tombée le 22 mai, c’est ce jour-là, après la décision administrative de suspendre trois médias sur près de quatorze qui ont la télévision et sur près de quatre-vingt radios qui existent dans le pays ; c’est le lendemain que la charte m’a été envoyée, donc c’était un peu trop tard.
BBC : Et aujourd’hui, est ce que des démarches sont en cours? Est-ce que des négociations sont en cours?
ABO : Le climat de confiance a été rompu. Il faut laisser le temps au temps pour amener à une reconsidération complète de ce dossier. Parce que personnellement, très tôt, je me suis engagé pour une normalisation. J’ai été fortement déçu de constater que l’action que j’ai menée n’a pas été accompagné de manière intelligente par ceux et celles qui pouvaient bénéficier de cette normalisation.
BBC : C’est l’image de la Guinée qui prend un coup en terme de liberté d’expression. Et c’est aussi près de mille professionnels qui se retrouvent sans travail. Monsieur le Premier ministre, pendant combien de temps cette situation va-t-elle perdurer?
ABO : Je ne peux pas me prononcer à ce niveau-là. C’est à ce niveau-là que la responsabilité de chacun d’entre nous est interpellée. Lorsque vous êtes à la tête d’une entreprise, ce n’est pas parce que c’est vous, vous qui en êtes le principal actionnaire ou le créateur ou le fondateur que vous devez oublier votre responsabilité sociale vis à vis de ceux et de celles qui travaillent pour le compte de votre entreprise.
Et d’où la nécessité que les managers, les chefs d’entreprise, doivent prendre en considération la pérennité de leur propre entreprise, pas simplement pour leur propre personne, mais pour ceux et celles qui travaillent à l’intérieur de cette entreprise. Pour savoir comment gérer, comment agir et quelle responsabilité mettre en avant pour ne pas avoir des attitudes inconsidérées qui remettraient le projet managérial ou le projet entrepreneurial en cause.