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Dadis Camara condamné, quelle leçon pour Doumbouya?

Le 31 juillet 2024 est désormais une date historique en Guinée, à double titre. Pour la première fois, un ancien chef d’État, Moussa Dadis Camara, a été condamné pour des crimes commis sous son règne. Et pour la première fois, un tribunal guinéen a condamné une personne pour crimes contre l’humanité. L’ancien putschiste, qui avait pris le pouvoir en décembre 2008, a été condamné à vingt ans de prison pour le massacre du 28 septembre 2009 au cours duquel plus de 150 personnes avaient été tuées et 1 400 blessées par les forces de sécurité. Si l’avocat de Moussa Dadis Camara a annoncé qu’il interjetait appel, cette condamnation en première instance, au terme de huit années d’instruction et de vingt-deux mois de procès, constitue une grande victoire pour l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH) et l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa), qui s’étaient constituées parties civiles. Leurs avocats ont martelé après le verdict, que ce procès devait « servir de leçon ».

Le 28 septembre 2009, la barbarie des forces de défense et de sécurité – et de miliciens recrutés pour l’occasion – s’est déchaînée sur une foule désarmée, prise au piège dans le principal stade de Conakry. « Coupables » de s’opposer à la volonté de Dadis de se présenter aux élections devant marquer la fin de la transition, les manifestants se sont vus punis à coups de feu et d’armes blanches. Une centaine de femme ont été violées sur place, parfois avec des objets, et même réduites en esclavage sexuel pendant plusieurs jours.

On peut comprendre, face à ces horreurs, les sentiments mitigés de certaines victimes, qui jugent les peines trop clémentes – 10 à 20 ans de prison pour sept des huit condamnés (seul Claude Pivi, toujours en cavale après son évasion de prison en novembre 2023, écope de la perpétuité). Les sentiments sont d’autant plus mitigés que des calculs politiciens pourraient pousser la junte dirigée par Mamadi Doumbouya à gracier les coupables, au nom de la « réconciliation nationale » – Dadis restant très populaire dans sa région, la Guinée forestière. De plus, le procès n’aura pas permis d’éclaircir certaines zones d’ombres : toutes les fosses communes n’ont pas été identifiées, empêchant des parents de faire le deuil de leurs proches.

Le gouvernement de transition, mis en place à la suite du putsch du 5 septembre 2021, n’a pas tardé à s’auto-féliciter du bon déroulement du procès, son porte-parole en attribuant les principaux mérites à… Mamadi Doumbouya ! Ce procès serait le fruit de la volonté de ce dernier de « promouvoir l’état de droit en Guinée », a osé déclarer le gouvernement dirigé par Bah Oury, défenseur historique des droits humains en Guinée et qui aurait pu figurer parmi les victimes ce 28 septembre : il était le président du comité d’organisation de la manifestation.

En réalité, l’état de droit en Guinée n’est pas plus respecté sous Doumbouya que sous Dadis. Voilà plusieurs mois que les journalistes sont réduits au silence, que les manifestations sont interdites (ceux qui y contreviennent sont punis de la peine capitale : on dénombre au moins 47 morts sous les balles des forces de l’ordre sous le règne de Doumbouya) et que les organisations de la société civile sont réprimées : le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui a joué un rôle majeur dans l’opposition à Alpha Condé, a notamment été dissous, alors que Bah Oury et le porte-parole du gouvernement en étaient membres, il n’y a pas si longtemps.

L’actuel régime n’a ainsi rien à « envier » à la junte de Dadis Il procède même à des disparitions forcées : on est toujours sans nouvelle d’Oumar Sylla (alias « Foniké Menguè ») et de Billo Bah, deux leaders du FNDC, près d’un mois après leur brutale arrestation. Où sont-ils détenus ? Sont-ils toujours en vie ? Pas sûr que Doumbouya ait retenu la « leçon » de l’échec de la junte de 2008-2010, qui s’est conclu par la tentative d’assassaint de Dadis par son aide de camp. Il est vrai qu’entre CNDD (l’acronyme du régime de Dadis) et CNRD (l’acronyme de l’actuel régime), il n’y a, après tout, qu’une lettre d’écart.

In afriquexxi.info 

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